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3 avril 2010 6 03 /04 /avril /2010 20:26

 

 

 

 

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Au commencement, et ce n’est pas une invention de ma part : les ouvrages d’astronomie vous le diront, il y avait le Soleil. Ces mêmes ouvrages vous raconteront sa formation, vous diront comment un grand nuage de poussière, perdu dans le néant cosmique s’est ramassé sur lui-même sous l’effet de sa propre force de gravitation, faisant naître en son centre une grosse boule incandescente. Ils diront aussi comment et pourquoi les éléments restés en périphérie se sont à leur tour regroupés pour former les planètes et par là, comment un long cycle de collisions et de mises en orbite ont bricolé le Système Solaire que nous connaissons aujourd’hui et qui nourrit les rêves des scientifiques.

 

 

Mais je ne suis pas scientifique, je suis un conteur soucieux de vous épargner les fastidieuses explications qui vous rebutaient déjà en cours de physique : en tant que tel, je vous raconterai aujourd’hui une histoire un peu différente. Une histoire astrosubjective. Certes, c’est un mot inventé, mais il a été inventé avec justesse. Les données sont dans leurs grandes lignes issues des vraies sciences astronomiques, mais ce sont pourtant des sciences subjectives. Ne dit-on pas que la vérité scientifique la plus absolue s’entend à 99,999999...9% ? Les scientifiques sérieux eux-mêmes n’admettent-ils pas que certaines choses impossibles en apparence pourraient survenir ? L’astrosubjectivité, c’est une des vérités scientifiques comprises dans les 0,000000...1% restants, la vérité Imaginée.

 

 

Au commencement, donc, il y avait le Soleil, astre né du mouvement chaotique lové dans le Néant. Dans son remue-ménage auquel rien ne pouvait échapper, il a modelé les poussières en planètes et les a invitées à suivre la cadence. Il lui fallut des millions d’années pour s’entourer d’une Cour aux proportions respectables et tenter de l’organiser. Parmi les planètes créées, il y en avait une, la Terre, énorme et passionnée, explosant de toutes parts dans des jets de magma au rythme de sa passion, car le Génie Créateur du Soleil avait bien œuvré avec toutes ces petites boules qui évoluaient dans sa lumière et sa chaleur, mais elles étaient jeunes et fougueuses et terriblement indisciplinées. Beaucoup d’entre elles se cognèrent les unes aux autres, tombèrent amoureuses de leurs voisines et entrèrent en fusion avec elles. La Terre, qui avait fusionné depuis le commencement avec sa Planète-Soeur, se promenait sur son orbite dans l’insouciance la plus totale et ne craignait rien de ses semblables qui lui paraissaient trop petites pour représenter un danger. Les millénaires passant, elle gagna encore en confiance et parfaitement heureuse en elle-même, commença à durcir, conservant en son cœur bouillonnant toutes les raisons de son contentement. Mais elle était un peu dissipée (on aurait pensé qu’elle avait la tête dans la Lune si cette dernière avait déjà existé) et donc fort peu prudente : aussi ne vit-elle rien venir quand une planète voisine à la course véloce vint se jeter sur elle à l’intersection de leurs orbites. La collision, tout à fait sauvage, amputa la grasse Terre d’un énorme morceau de son corps qui fut éjecté dans l’Espace et qui devint la Lune : pour la première fois depuis des temps immémoriaux, la Terre se retrouvait célibataire, divorcée contre son gré de sa Planète-Soeur. Le Soleil, las de tout ce bazar et pressé de remettre un peu d’ordre dans son Système pour asseoir son autorité, ajusta les orbites de façon à ce que ce genre d’incident ne se reproduise pas. Désireux d’ajouter la Lune, qui était ainsi née de la Terre, à sa Cour, il voulut l’attirer vers lui et lui donner une orbite qui lui serait propre, autour de lui. Mais c’était sans compter sur le fort attachement que la Terre éprouvait envers ce morceau qu’elle avait perdu et qui était, elle l’avait compris bien vite en sentant la mélancolie qui la gagnait, son meilleur morceau. La Lune se plaça tout près de la Terre, réciproquement attirée par elle comme par un aimant, espérant ainsi pouvoir revenir auprès d’elle et retrouver sa place en son sein. Le Soleil lui aussi savait que la Lune était le meilleur morceau de la Terre et pour se venger de ne pouvoir attirer à lui ce joyau pur, il fit en sorte de les tenir éloignées l’une de l’autre par la force de son attraction. Il s’arrangea aussi, préparant pour elle une orbite complexe, pour qu’elle devint invisible depuis la Terre, hormis dans les moments où il l’éclairerait lui-même de sa lumière. La Terre aurait donc le droit de jouir de la beauté de sa Planète-Soeur, mais seulement par les grâces dispensées par le Soleil son rival.

 

Mais voilà, le Soleil était beau et brillant et la Lune, si pure et si aimante, ne résistait pas à sa lumière. Personne ne le pouvait d’ailleurs, pas même la Terre qui de son coin du Système était en proie à la pire des dualités : elle en voulait au Soleil de lui avoir ravi la Lune, mais ne pouvait s’empêcher de l’adorer et de se pâmer devant les beautés qu’il révélait chaque nuit en aimant de ses rayons ardents les mers et les cratères de leur bien-aimée. Elle aimait aussi le bonheur qui se lisait sur la surface de la Lune qui tantôt, dans son ciel nocturne, s’arrondissait de joie, se creusait en un sourire doux et chaleureux. Parfois même, et la Terre en pleurait d’émotion à chaque fois même si les occurrences étaient rares, la Lune était jalouse de voir les rayons du Soleil tenter de caresser et de charmer la Terre. Petite et fragile, elle s’interposait entre eux et embrassait dans l’ombre la surface de la Terre, lui murmurant en secret combien elle lui manquait et combien elle avait besoin de la toucher une fois encore, mais toujours elle devait repartir, attirée par cette orbite au mouvement inévitable animée par le Soleil...

 

 

La Terre se sentait seule et désemparée. Pour noyer son chagrin et son ennui, elle se mit à faire pousser toutes sortes de choses sur sa surface. Vinrent d’abord les plantes, puis les animaux, mais aucun de ses jouets ne semblait accorder à la Lune le dixième de l’attention et de l’amour qu’ils portaient au Soleil. Les fleurs se fermaient la nuit et les animaux s’abritaient pour dormir. Dans le silencieux sommeil de ses créations, la Terre soupirait qu’aucune n’aime la Lune autant qu’elle l’aimait elle-même. Elle créa bien les Hommes, mais ils semblaient partager les mêmes préoccupations et coutumes que les animaux et les plantes. Elle ne pouvait plus supporter cette commune indifférence à l’encontre de sa Lune bien-aimée. Tenant compte de la mortalité des Hommes, elle décida qu’un représentant femelle de chaque génération (car les femelles étaient plus sensibles à sa voix), recevrait le pouvoir de voir la Lune à travers ses propres yeux.

Sur Terre, à chaque génération, une jeune femme fut donc désignée pour voir la Lune avec les yeux de la Terre. Les premières élues attirèrent l’attention de leurs semblables sur l’Astre des nuits et certains, sous cette impulsion, lui vouèrent même un culte. Au fil des millénaires, la connaissance astrosubjective des temps passés s’était diluée et la jeune femme qui aimait la Lune autant que la Terre ne savait plus pourquoi, ni ne savait plus la voir autrement qu’éclairée par le Soleil.

 

Notre histoire commence à s’achever ici, le jour où une des Porteuses du Regard de la Terre, réveillée par la Terre elle-même, a su voir la Lune hors des rayonnements du Soleil.

 

La jeune femme dont il est question passait dans son époque pour une originale, une douce-dingue, une rêveuse. Le temps était révolu où les Prêtresses de la Lune inspiraient le respect. On disait d’elle qu’elle avait la tête dans la Lune et c’est bien en-dessous de la vérité car elle n’y avait pas que la tête : elle était entièrement absorbée par la Lune, au détriment de toute autre affection. La nuit, elle l’observait, aimait ses croissants, sa rondeur, sa blanche lumière et lorsqu’elle ne la voyait pas, se sentait seule et désemparée, comme la Terre jadis. Pour noyer son chagrin et son ennui dans la journée et lors des nuits sans Lune, elle fermait les yeux et entreprenait de la ressentir, où qu’elle soit, dans un hémisphère ou dans l’autre, éclairée ou non par les rayons du Soleil.

Un jour, la jeune femme ressentit pour de bon les mouvements lunaires, les marées, les tempêtes, les effets de son attraction sur les plantes et les bêtes, les effets de son attraction sur elle-même, sur ses rêves, sur son humeur. Pour elle, le Soleil, pourtant toujours aussi beau et aussi brillant, toujours aussi chaud pour ses semblables humains, n’avait que l’effet d’un soleil froid. Elle n’avait plus besoin de lui pour voir la Lune, pour l’aimer, pour s’abandonner à elle et entendre ses messages.

Douce-dingue, elle le devint plus que jamais : consacrant de plus en plus de temps à l’écoute de la Lune, elle témoigna des effets croissants de cette dernière sur la Terre : les marées de plus en plus hautes, qui faisaient déborder les mers de plus en plus souvent avec pertes et fracas, les humeurs des Hommes et des Animaux, de plus en plus extrêmes et sauvages, ses propres rêves, de plus en plus forts, dans lesquels parfois la Lune s’adressait directement à elle, lui disant que le Soleil ne la charmait plus tout à fait autant qu’avant et qu’elle aimerait revenir vers elle, vers la Terre, sa Planète-Soeur. Parfois, des cauchemars même, porteurs du message exactement inverse desquels elle se réveillait en sueur, brutalement mise en ébullition par une vague de rayons solaires triomphants.

 

La Terre avait usé sa Porteuse de Regard jusqu’à la corde en appuyant ainsi sa sensibilité et s’apprêtait à la relever de ses fonctions pour la soulager, quand subitement la Lune atteignit le sommet de son agitation. A travers le Système Solaire, sa plainte résonna, belle et déchirante comme la lame d’une épée. ‘Je dois choisir !’ hurla-t-elle, l’âme pétrie de peurs et de chagrin.

 

Le silence se fit.

 

Et c’est ici que je reviens à vous. Je vous ai un peu menti par omission, je suis un conteur qui n’en est pas tout à fait un, mais plutôt une sorte de reporter de l’astrosubjectivité, car la jeune Porteuse du Regard de la Terre est en réalité notre contemporaine et je la connais bien.

Le silence qui ‘se fit’ est en réalité toujours d’actualité et en ce moment, la Lune est recroquevillée sur elle-même, essayant de démêler les fils qui la tiennent en servage.

 

Si j’étais un vrai conteur, je prendrais un parti et vous donnerais une fin en conséquence, mais je ne suis pas capable de me décider sur la fin que je souhaite donner à ce conte astrosubjectif. J’ignore quel parti est le meilleur et mon affection pour la jeune Porteuse de Regard et pour la Terre qu’elle représente ne m’aide pas à trancher.

Je vais pourtant essayer d’être un conteur digne de ce nom en donnant à ce conte non pas une mais deux fins, les deux issues possibles à cet imbroglio imaginé à 0,000000...1%, et scientifique à 99,999999...9%.

 

Hyp. N°1 : La Lune se tourne vers la Terre et avec un regard plein de regrets, lui dit dans un souffle qu’elle veut conserver sa place dans le mouvement perpétuel de son orbite, toujours caressée et éclairée par le Soleil. Peut-être la Lune y trouvera-t-elle du contentement, peut-être parviendra-t-elle à détourner ses regards de la Terre et une fois sa place entièrement acceptée, cessera-t-elle de soulever les marées, de peupler les rêves et les humeurs de la Terre et de ses habitants, les laissant dans l’immobilité et figés dans un repos forcé. La Terre enverrait alors sa nouvelle Porteuse de Regard dans un prudent voyage sans halte vers les contrées que la Lune ne couvre pas et notre histoire se terminerait ici sans que nous détaillions davantage les suites de cette hypothèse au risque, toujours, de prendre parti.

 

Hyp. N°2 : La Lune embrasse le Soleil avec douceur, sachant qu’elle ne quittera jamais totalement son rayonnement. Mais elle rompt son orbite et se rapproche de la Terre. Cette perturbation astronomique engendre le Chaos, la Terre chavire sur son axe, ses polarités s’inversent et elle perd littéralement le Nord. La Lune est secouée mais la Terre qui l’accueille, bien que renversée, est grande et solide. Là encore, j’éviterais volontiers autant que possible de prendre parti, mais je suis après tout humain et n’ai pas signé de charte m’obligeant entièrement à l’impartialité... Par conscience professionnelle toutefois, je dirais seulement que le Chaos ne dure qu’un temps...

 

Entre ces deux fins, il appartient à chacun de choisir celle qu’il préfère, en toute connaissance de cause.

 

Pour l’instant, le choix appartient à la Lune...

 

Fin ?

 

 



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