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2 septembre 2009 3 02 /09 /septembre /2009 06:55

 

 


Comme ils étaient jolis, les petits pains au sucre de Mélusine ! Leur croûte dorée parsemée de grains de sucre et leur mie qui fondait sous la langue les rendaient succulents. Tous les passants se pourléchaient devant son modeste étalage de bric et de broc et s’empressaient de venir les acheter quand ils étaient encore tout chauds. Mélusine, qui avait à peine quatorze ans, était orpheline. Elle préparait ses petits pains dans un coin du four du boulanger, qui le lui prêtait de bonne grâce tant elle était jolie et paraissait fragile derrière ses grands yeux noirs. Le boulanger lui louait aussi une petite pièce, davantage un placard en vérité, mais qui était très bien aménagé et qu’elle lui payait une misère. Il lui aurait bien permis de s’y installer sans rien lui demander en échange et avait un peu honte d’accepter l’argent qu’elle lui donnait, mais Mélusine tenait plus que tout à payer sa location. ‘Cela me donne l’impression d’avoir une vie normale’ lui avait-elle dit. ‘J’ai un travail, un chez moi, c’est plus qu’il n’en faut pour être heureux !’ Et heureuse, elle l’était ! Son petit commerce fonctionnait fort bien et elle ne manquait donc de rien. Il faut dire qu’elle se contentait de très peu, car peu de gens, adultes comme enfants, auraient accepté si modestes conditions de vie.


Tous les lundis matin, à la première heure, la première cliente de Mélusine était immanquablement la même jeune fille, qui s’offrait un petit pain au sucre sur le chemin du collège. Elle sortait toujours de sa poche une pleine poignée de piécettes et les déposait dans la main de Mélusine avec un grand sourire, avant de choisir le petit pain qu’elle emporterait, toujours le plus joli et le plus alléchant. Mélusine attendait le lundi matin avec impatience, car elle trouvait que cette jeune fille avait les plus beaux yeux du monde. Ils étaient bleu myosotis et la petite vendeuse était certaine qu’il s’agissait de la couleur des yeux des anges. Un jour, la jeune fille qui n’avait jamais encore prononcé un mot, se présenta : ‘je m’appelle Apolline, j’ai entendu dire que ton prénom était Mélusine, c’est bien ça ?’ Mélusine hocha la tête en rougissant un peu. ‘Tes petits pains sont délicieux, mais ils sont trop gros pour moi et je n’arrive jamais à les manger en entier. Je vois aussi que tu n’es pas très épaisse, voudrais-tu que nous les partagions ?’ Et elle insista tant que Mélusine finit par accepter, à la condition de n’en croquer qu’une bouchée. Ses petits pains étaient en forme d’œuf et un des bouts était plus petit que l’autre, il fut donc convenu que Mélusine croquerait dans ce morceau-là, avant qu’Apolline n’emporte le reste avec elle à l’école.


Apolline avait un soupirant du nom de Rupert. Il avait quinze ans et était très gâté par son père médecin qui ne lui refusait jamais rien, ce qui l’avait rendu très orgueilleux et exigeant. Il suivait tous les jours Apolline sur le chemin de l’école. Elle était gentille avec lui, mais il était très contrarié qu’elle refuse d’être son amoureuse. Tous les jours, il lui proposait de manger le petit pain qu’il achetait, mais Apolline qui avait compris qu’il essayait de la séduire avec des cadeaux refusait poliment, lui disant que les petits pains au sucre étaient meilleurs lorsque l’on avait économisé toute la semaine pour se les offrir. Et le lundi, alors que Rupert l’observait de loin, elle tendait immanquablement le petit quignon à Mélusine qui croquait dedans avec plaisir. Leurs deux regards étincelaient alors de joie.

Rupert, qui était très jaloux de Mélusine, voulut lui jouer un très mauvais tour. Il décida de voler une drogue dans l’armoire de son père et d’en injecter le lundi suivant une pleine seringue dans le petit côté du plus joli petit pain au sucre qu’aurait fait Mélusine.


Cette dernière voulait de son côté faire à Apolline la surprise de lui confectionner un très beau petit pain recouvert de sucre tout bleu, car elle savait que c’était sa couleur préférée. Elle demanda au boulanger comment il fallait s’y prendre pour colorer le sucre et se leva très tôt pour faire ce petit pain, le plus joli du monde et le plus appétissant. Le sucre était bleu myosotis et la croûte était dorée comme les beaux cheveux d’Apolline. Contente d’elle, elle posa le pain sur son étalage à côté des autres.


Rupert arriva en premier ce matin là et lui acheta un petit pain avec une grosse pièce. Alors qu’elle fouillait dans son tablier pour trouver la monnaie à lui rendre, il en profita pour injecter la drogue dans le petit quignon du pain au sucre bleu qui, il le savait, ne pouvait être que celui réservé à Apolline. Le produit qu’il avait pris dans l’armoire verrouillée de son père avait une bonne odeur d’amande et Rupert, qui ne s’y connaissait guère en sérums, avait jugé qu’il devrait être juste assez toxique pour rendre Mélusine malade. Il repartit très content de lui et alla se cacher pour observer de loin sa vengeance.


Lorsqu’Apolline vit le beau petit pain que Mélusine lui avait confectionné, elle poussa un cri d’émerveillement et posa un baiser sur ses lèvres roses pour la remercier. Mélusine devint très rouge et lui rendit un petit sourire tout intimidé. Comme à leur habitude, Mélusine prit la poignée de piécettes qu’Apolline lui tendait et cette dernière lui présenta le petit bout de son pain au sucre. Mélusine, encore très rouge, mordit dedans à belles dents sous le regard pétillant d’Apolline.


La couleur quitta instantanément les joues et les lèvres de Mélusine. Elle lança un regard très étrange en direction d’Apolline et tomba sur le trottoir, légère comme un fétu de paille. Le seul bruit fut celui des pièces qu’elle tenait encore dans sa main et qui en glissèrent pour aller rouler loin dans toutes les directions.

Nul à part Rupert ne sut jamais exactement ce qui était arrivé à Mélusine.


Il n’y eut plus jamais de petits pains au sucre et Apolline n’oublia jamais un instant Mélusine et la pleura beaucoup. Dix ans plus tard, elle refusa la demande en mariage de Rupert.


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